Anvers, Églises et Tourisme
Pastorale du Tourisme, Diocèse d’Anvers (TOPA vzw)

La cathédrale Notre-Dame d’Anvers, une révélation.

La Descente de la Croix (Pieter Paul Rubens)

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) (UA)

Le triptyque La Descente de croix est, sans hésitation possible, le chef-d’œuvre le plus illustre de P.P. Rubens, il est à juste titre le plus célèbre du patrimoine flamand et de toute la période baroque.  Ce tableau sert d’ailleurs d’exemple pour caractériser sa peinture.  Sur la statue de P.P. Rubens érigée au milieu de la ‘Groenplaats’ (Willem Geefs, 1840) à Anvers rendant un vibrant hommage à son citoyen le plus réputé, Rubens a auprès de lui une feuille de papier sur laquelle un rapide croquis de ce chef-d’œuvre le plus connu est représenté.

Après 1585, pendant la campagne de réhabilitation des autels, les arbalétriers ou arquebusiers érigent rapidement le leur, mais contrairement à la plupart des autres gildes, ils tarderont pourtant à réaliser leur triptyque qui ne se fera pas avant la Trêve de Douze Ans.  Pour honorer la facture ils sont autorisés à percevoir le montant que certains de leurs nouveaux membres doivent acquitter lorsque, tirés au sort, ils se trouvent devant l’obligation de leur devoir de conscrits. Il était d’ailleurs possible de se dégager de cette obligation ce qui était fréquent.

En 1611, l’année de la mise en adjudication, Nicolas Rockox est leur commandant, ‘ami et maître’ de Rubens, et aussi le « buitenburgemeester » (bourgmestre de l’extérieur) de la ville. Marié sans descendance, cet humaniste intellectuel et grand catholique consacre principalement son énorme fortune au mécénat et à l’aide aux plus démunis. (cf. la chambre des aumôniers). Sa maison de maître dans la Keizerstraat est actuellement un des plus beaux musées historiques de la ville. Il remarque rapidement le talent de Rubens à son retour d’ltalie.

Comme trois autres corporations de tireurs comptant un grand nombre d’adhérents qui pouvait parfois monter de 200 à 300, la guilde des arbalétriers avait placé leur autel dans le vaste transept de la cathédrale. Ce qui peut expliquer les grandes dimensions du triptyque : 4,2m de hauteur, 3,1m de largeur pour le panneau central et 1,5m pour chaque panneau latéral.  Ce retable de Rubens se trouve toujours dans le transept sud à quelques mètres de son emplacement d’origine.

En opposition avec l’Érection de la croix, Rubens exécute sa commande dans son atelier de la Kloosterstraaat puisqu’il s’agit de trois panneaux avec une scène différente pour chaque tableau.  Un an plus tard, le 12 septembre 1612, ce qui n‘est probablement pas dû au hasard, avant la fête de l’élévation de la croix du 14 septembre, le panneau central est posé. Les panneaux latéraux arrivent deux ans plus tard et l’ensemble est consacré.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) saint Christophe (Wikipedia)

Selon la tradition, les saints patrons doivent figurer sur les panneaux extérieurs, la plupart du temps représentés par une statue en grisaille assez statique.  Pour les arbalétriers saint Christophe est leur patron mais ici il n’est en rien figé. Vif et actif, il est le personnage principal de la légende. Reprobus, est un vrai colosse sorti d’une légende médiévale.  Il veut se faire valoir en entrant au service du roi craint par son peuple. Mais un jour, Reprobus constate que ce puissant souverain a peur du diable.  C’est pourquoi il présente promptement ses services au diable avec l’idée qu’il est le plus puissant. Mais il se trompe et constate que le diable tremble devant le Christ, le Fils de l’unique Dieu tout puissant.  Ainsi il part à la recherche de Dieu. Après une longue recherche, Reprobus assis au bord d’une rivière rencontre un ermite qui l’instruit dans la Foi chrétienne et l’assure de recevoir l’estime du Christ en secondant les gens à traverser la périlleuse rivière.  Le géant transporte donc les voyageurs sur ses larges épaules.  Il les fait traverser sans rien leur demander en retour.  Un certain soir se présente un enfant.  Reprobus le prend sur ses fortes épaules mais ce petit enfant pesant de plus en plus lourd faillit bien lui faire perdre l’équilibre. C’est avec peine qu’il réussit à le déposer sur l’autre rive.  Curieux de connaître la raison du poids excessif de l’enfant, il l’entend dire : ‘‘Je suis le Christ, qui a effacé les péchés du monde’’.  Reprobus a compris : le message n’est pas ‘se faire valoir’, mais la rencontre avec Dieu ne se fait que si on est prêt à aider son prochain à porter son fardeau.  Reprobus se laisse baptiser sous le nom de Christophe, en latin Christophorus, qui signifie ‘‘porteur du Christ’’.  Saint Christophe est devenu une version du mythe de Charon, le protecteur de la dernière traversée vers l’au-delà.  Celui qui regarde une représentation de saint Christophe serait, selon la superstition médiévale, épargné, ce jour-là d’une mort inopinée.  Cela voulait dire mourir sans extrême-onction et selon la croyance du moment, ne pas être apte à accomplir le dernier voyage.  Par conséquent, pour des hommes tels que les arbalétriers qui manipulaient des armes à feu, Christophe était le patron de la bonne mort.  Pour la procession annuelle, ils louaient des échasses pour évoquer l’énorme stature de leur saint, précédé par l’ermite et sa lanterne.  Un spectacle très apprécié par le public.

La gilde aurait certainement espéré voir leur saint représenté sur le panneau central mais l’Église Catholique se souvenant des critiques fondées des Protestants, exige une épuration du culte des saints. Soit dit en passant les jésuites anversois sont les précurseurs de la critique historique au sujet de la vie des saints du Moyen-Âge. De leur recherche résulte l’édition monumentale l’Acta Sanctorum (l’authenticité des évènements au sujet des saints).  Ils constatent que le personnage de Christophe est tout simplement une légende.  En plus la Contre-Réforme exige que lorsque le retable est ouvert, le sacrifice de la mort du Christ prime.  La solution est trouvée en attirant l’attention sur le sens mystique du nom Christophe : ‘porter le Christ’ tandis que la légende de Christophe est étalée en un seul tableau sur les deux volets extérieurs.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) le panneau central (WS)

Le panneau central est complètement voué à ce moment bouleversant pendant lequel Jésus est descendu de la croix – d’où d‘ailleurs le nom donné à l’ensemble du triptyque de Rubens. Ce choix va de soi ; quelques fidèles disciples Le portent.  Cela exige une grande concentration pour délivrer avec soin Son corps sans vie de cette haute croix.  Le corps descend lentement, retenu par les deux hommes perchés sur une échelle qui se penchent sur la poutre de traverse. C’est avec les dents que celui de droite retient le linceul ayant ainsi la possibilité de tenir Jésus par le bras et de le laisser descendre lentement. Dans cette scène biblique, cet homme n’empêche pas seulement la chute, mais cela permet aussi aux croyants de percevoir le corps de Jésus. La position complexe de son corps amorce la descente qui s’opère de haut à gauche vers le bas à droite constituant ainsi une ligne de composition en diagonale dans ce panneau composée principalement par le corps sans vie de Jésus.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) le Christ (JV)

Le corps penché ainsi que le bras droit ballant et la tête inclinée rendent parfaitement le poids d’un corps vigoureux et inerte. La pâleur cadavérique contraste avec le rouge du sang séché et ce qui s’épanche encore de sa blessure due au coup de lance.

Deux vénérables juifs faisant aussi partie de ses disciples, le regardent et l’entourent avec respect : le premier est Joseph d’Arimathie, un conseiller fortuné du Sanhédrin, la plus haute juridiction juive.  Pilate lui avait permis d’enlever le corps de Jésus et de l’enterrer. Cet homme pieux, vêtu d’un manteau bleu foncé est mal assuré sur son échelle, il s’y accroche des deux mains.  Auparavant il a retiré la couronne d’épines et retiré les trois clous.  Le second est un pharisien et docteur nommé Nicodème, un des juifs le plus important venu lui aussi Lui rendre hommage et prêter main forte. Son prestigieux vêtement religieux ne l’empêche pas d’être juché sur une échelle.  De sa main gauche, il soutient Jésus en-dessous du bras et de l’autre, il retient le linceul.

Identifiable par le superbe rouge vif de sa tenue, Jean, le préféré des fidèles disciple de Jésus est placé à l’avant plan et attire le regard. Tous muscles tendus pour supporter le poids du corps de Jésus, il pose un pied sur un barreau de l’échelle.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) Marie (JV)

Selon la tradition iconographique à la droite de Jésus et un peu dans la pénombre se trouve Marie en pleurs. Sa douleur de mère est incommensurable, son visage défait par la douleur fait pitié. Brisée, elle regarde son fils sans vie et tend désespérément la main vers Lui.

Le mouvement descendant- et de ce fait aussi la ligne de composition en diagonale – s’achève chez Marie Magdeleine et Marie Cléophas respectueusement agenouillées devant leur maître. Elles Le regardent pleines d’amour et d’affection. Des deux mains, Marie Magdeleine laisse reposer le pied de Jésus sur son épaule, un geste qui peut être interprété comme une allusion à sa bienveillance, lorsque dans la maison de Simon le pharisien, elle lava les pieds de Jésus.  Derrière elle, Marie Cléophas tend presque en cachette la main afin d’agripper un bout du linceul pour se sentir concrètement plus proche de Lui. Son bras droit nu et le coude de l’homme appuyé contre le montant de la croix clôt la composition.

Rubens, célèbre pour ses compositions dramatiques pleines de pathos montre ici l’expression d’émotions muettes : les joues du visage de Marie Cléophas inondés de larmes. Les deux hommes haut penchés sur la poutre transversale – celui de gauche risque d’ailleurs de perdre l’équilibre – créent une profondeur tridimensionnelle qui augmente la puissance tout en retenue de l’ensemble, ce qui fait que la charge de ‘porter’ constitue bien le thème principal de la Descente de Croix.

Les précieuses reliques de la couronne d’épines et les trois clous sont délicatement déposés sur un plateau en bas à droite du tableau. Le sang provient des objets tranchants qui ont blessé Jésus. Une pierre empêche le parchemin avec l’inscription de la condamnation de s’envoler.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) le panneau de gauche : Marie & Joseph (JV)
Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) le panneau de gauche : "Le fruit de vos entrailles" (JV)

Les volets intérieurs montrent deux moments de l’enfance de Jésus pendant lesquels il est non seulement ‘porté’ physiquement mais qui soulignent aussi l’importance de sa personne.  Sur le volet de gauche, Marie porte Jésus en son sein et rend visite à sa cousine Élisabeth, elle-même enceinte de Jean-Baptiste.  Du doigt elle indique le sein de Marie, illustrant ainsi les mots qu’elle prononça : je te salue, Marie, pleine de grâce, tu es bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de tes entrailles est béni. (Lc. 1:42).  Plus en retrait, les époux respectifs Joseph et Zacharie, devenu muet, se saluent.

Cathédrale d’Anvers – La Descente de Croix (PP Rubens) le panneau de droite (JV)

Sur le volet de droite, la Présentation au temple, Jésus est bien sûr porté. Le 40ème jour après la naissance les juifs offrent donc leur fils aîné à Dieu. Au temple réside le très âgé Siméon, un homme juste et pieux qui attendait ardemment la venue du Messie.  C’est avec une grande joie qu’il accueille l’enfant que Marie vient de déposer dans ses bras. Joseph, respectueusement agenouillé, tient un couple de tourterelles, offrande prescrite pour les moins fortunés. (Lc. 2:22-35).

Le second thème dissimulé dans ce tableau est ‘le Christ est la lumière du monde’.  Alors qu’Il est décédé, le Christ est la principale source de lumière sur le panneau central.  La blancheur immaculée du linceul accentue encore la couleur livide de Son corps. (Mt. 27:59). Les personnages qui L’entourent portent chacun un vêtement d’une couleur primaire qui le caractérise et forment ainsi un cercle coloré autour de Lui.  Tout cela contraste fortement avec l’arrière-fond obscur qui selon l’évangile reflète la lueur du crépuscule mais en même temps évoque –  sur le plan psychologique – l’injustice de l’exécution. Ceux qui à la vue de ‘la Visitation’ se sont familiarisés avec les prières mariales doivent certainement se remémorer ce qui caractérise presque à coup sûr Marie : ‘Vous qui avez offert la Lumière éternelle au monde’.

À ‘la Présentation au temple’ le vieux Siméon loue le Seigneur en ces termes : (Lc. 2:29-32)   ‘Vous avez préparé la Lumière pour toutes les Nations’ ceci à la grande joie de la veuve et prophétesse Anne qui se trouve derrière lui.

Fidèle aux préceptes de l’église que le portrait d’un être vivant ne peut paraître sur un panneau central, le portrait de Nicolas Rockox, l’homme aux cheveux et à la barbe noire est représenté non pas à la place d’honneur mais sur le volet de droite, contre le côté gauche de l’encadrement. En catholique convaincu, lui aussi reconnaît que Jésus est la Lumière du monde.  Par ce portrait contemporain à Rubens, ce passage biblique reçoit d’autant plus un caractère actuel. Le chant de louange de Siméon n’appartient pas uniquement à la seule célébration de la Présentation du 2 février : prêtres, religieux et croyants clôturent leur journée par les Complies de l’Office Divin lorsque entrant dans le repos du soir, ils prient : ’laissez votre serviteur aller en paix’.

Dans la légende relatée sur les deux volets extérieurs les deux thèmes ‘porter’ et ‘la Lumière’ sont reliés.  Traditionnellement du bord de la rivière, l’ermite éclaire Christophe traversant le gué de sa lanterne, pourtant c’est l’enfant avec sa peau de bambin qui capte le plus la lumière et la réfléchit.  Un sage et pieux ermite a la tâche d’indiquer Jésus comme étant ‘la vrai Lumière’.

Sur le panneau du milieu, le Jésus de la Descente de Croix est le personnage central auquel la composition des trois panneaux s’ajuste.  Son visage s’y trouve aux deux tiers de la hauteur totale du tableau.  Sur le panneau de droite la ligne diagonale monte du coin gauche vers celui du haut à droite, commençant par le pied nu de Joseph, continuant le long de son dos vers les mains de Marie, la tête de l’enfant Jésus et s’achevant par les yeux rivés au ciel de Siméon.  Sur le panneau de gauche, du bas à gauche vers le haut à droite, la servante, avec son petit air malicieux, monte les quelques marches de l’escalier qui mènent vers la demeure d’Élisabeth et Zacharie. Elle regarde le spectateur droit dans les yeux pour qu’ils fixent d’autant plus leur attention et reste concentré sur l’histoire du tableau – une astuce du Caravage que Rubens emprunta allègrement.

Nul autre que Rubens ne parvient à rendre sa peinture aussi vivante et réelle, ainsi les gouttes de sueur sur le front de Christophe, les marbres du temple, l’habit richement décoré de Siméon, les cheveux blonds pleins de sensualité de Marie-Madeleine et de Marie-Cléophas. Son extraordinaire palette possède pour chaque couleur une gamme étendue de nuances, avec un reflet de lumière extrêmement ludique sur les vêtements de ses personnages.

Après son séjour à Rome, Rubens s’inspirera encore longtemps aux sources de l’Antiquité. Cela se sent dans le personnage de Christophe, inspiré de l’Hercule de Farnèse (à l’époque dans la villa Farnèse, actuellement à Naples).  L’influence du groupe du Laocoon se retrouve (musée du Vatican), et dans le temple de Jérusalem, le plafond en cassettes ressemble à celui de la basilique de Maxence sur le Forum Romain.

L’habillement des personnages bibliques selon la mode antique reçoit un accent contemporain, cela se voit dans le chapeau de Marie sur le volet gauche et le camauro, du ‘grand prêtre’ Siméon.

Les louanges à propos de ce chef-d’œuvre sont légions.  Pour Léopold, le père de Mozart, en 1765 ce tableau est tout simplement ‘indescriptible’ (‘unbeschreiblich’), ‘une œuvre qui dépasse toute imagination. Le religieux anglican Thomas Brand trouve en 1779 qu’il mérite le voyage à lui tout seul.  Au début de l’occupation française en 1794, le chef-d’œuvre de Rubens est amené en tant que butin de guerre à Paris où il trône avec fierté dans la Grande Galerie ‘du plus grand musée du monde’.  L’encadrement entourant l’autel resté sur place se perdra dans la vente qui suivra.  Après la défaite de Napoléon, le triptyque revient en 1816 et reprend sa place initiale, si ce n’est deux travées plus loin et reçoit en tant que pendant, d’une part fortuitement et de l’autre consciemment, l’Érection de la Croix de Rubens. De nouveau les admirateurs affluent en masse.  Un témoignage de 1836 mérite d’être révélé : Théophile Gautier qui a réagi avec spiritualité à la couleur livide du ‘corps de Jésus’ se rappelant la Communion, ne voit plus que les charmes de Marie-Madelaine et son amour pour le Christ s’écrie : Ah ! Madeleine, Madeleine, que n’ai-je été ton contemporain !

Aucun tableau de Rubens n’a été aussi souvent copié que La Descente de Croix. Lorsqu’on évoque le récit biblique de la dernière Cène, c’est tout naturellement le tableau de Da Vinci, homme de la renaissance, qui vient à l’esprit. Tout comme le récit de la Descente de Croix est associé, jusqu’à fin du XIXe siècle, au chef-d’œuvre du même nom de Rubens.

Afin que la contemplation de la Descente de croix de Jésus devienne pour vous une expérience fondamentale, il serait bon que vous écoutiez une passion chantée telle la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach : Mein Herz ist betrübt…