Anvers, Églises et Tourisme
Pastorale du Tourisme, Diocèse d’Anvers (TOPA vzw)

La cathédrale Notre-Dame d’Anvers, une révélation.

L’Assomption de Marie

(Pieter Paul Rubens)

Le triptyque de Frans Floris (1560) destiné au maître-autel n’a pas résisté à la période calviniste. Lorsque la liturgie catholique est rétablie, le vide ainsi crée est comblé par l’Adoration des Mages’, une œuvre de 1568 du même maître qui fait actuellement partie de la collection du Musée Royal des Beaux-Arts.  Cet état provisoire se prolongera plus longtemps qu’espéré puisqu’une première proposition d’un nouveau retable sera, pour l’une ou l’autre raison, refusée par la Fabrique d’Église.

Initialement le Chapitre donne son accord pour le modello d’Otto Van Veen représentant un Couronnement de la Vierge. Mais après un petit laps de temps la préférence va aux propositions de Rubens : pas sur le modello qui reprend le même thème mais sur le second qui traite de l’Assomption de Marie.

Quoi qu’il en soit, Van Veen, écarté d’un des plus prestigieux projets par son élève et en plus dans sa propre ville, a dû ressentir une grande souffrance.  Pour des raisons inconnues la version de Rubens n’aboutira jamais dans la cathédrale mais sera finalement placée sur l’autel de la chapelle dédiée à Marie que les jésuites ajoutent à leur église, l’actuelle église Saint-Charles-Borromée. Ce tableau sera remplacé par une copie alors que l’original partira au Kunsthistorisches Museum à Vienne.

Le projet aboutira au second essai.  Des deux nouveaux modelli présentés au chapitre par Rubens en 1618, on peut supposer qu’un des projets a servi de départ au modèle de l’autel en ‘pierres’ que les sculpteurs, les frères Robrecht et Jan van Nole présentent trois mois plus tard. L’encadrement de l’autel et le retable s’ajustent complètement au même sujet.  Pour pouvoir juger de l’allure qu’aura cet énorme projet dans le chœur, deux ans plus tard le modèle de l’autel est représenté sur un grand panneau. À partir de 1621, les tailleurs de pierres travaillent dans un abri érigé sur le sol non consacré du cimetière.  Cela prendra quand même trois années avant la pose de la première pierre. L’honneur en reviendra à l’Archiduchesse Isabelle en personne. Cela exigera encore plusieurs années, probablement jusqu’en 1630, avant que la dernière main ne soit mise à l’imposant autel.

Les frais du tableau de ‘‘onse Lieve Vrouwe hemelvaert oft coronatie’’ sont portés par Johannes Del Rio en échange d’un caveau qui lui est attribué dans le déambulatoire nord.  Ainsi en 1619, il s’assure qu’il laissera un souvenir durable dans l’église où il occupait la fonction de chanoine pendant plus de vingt ans. Il décède en 1624, un peu avant ses 70 ans, il ne verra donc rien de cette promesse contractuelle du grand-maître : “dat ick sal schilderen loffelyck ende tot mynen alderbesten mogelyck synde” (je peindrai d’une manière honorable et je le ferai le mieux possible).  Ce n’est que pendant l’été de 1625 – six ans après la signature du contrat- que Rubens débute le tableau, mais il est contraint d’interrompre son travail à cause de ses voyages diplomatiques.  À peine revenu en février 1626, il demande de vider complètement le chœur pour travailler en toute quiétude.  Mais une fois dans le chœur le tableau s’avère trop étroit pour l’encadrement – apparemment les mesures étaient erronées. De retour à l’atelier, le panneau d’environ cinq mètres m de haut est élargi du côté droit de plus ou moins 20cm pour atteindre une largeur de 3,25m.  En même temps, le chapitre décide en faveur du tombant de lumière – et probablement à la demande de l’artiste lui-même – de déplacer de deux travées du côté sud du chœur le vitrail du Moyen-Âge qui présente des surfaces d’une couleur jaune-citron.

Ce qui prouve que du temps du baroque l’art de cette époque – lisez contemporain –  jouissait d’une grande considération.  De retour dans le chœur, le tableau est achevé à la fin de 1626, ou au plus tard au début de 1627.

Cathédrale d’Anvers – l’Assomption de Marie (PP Rubens) (WS)

Sur le maître-autel, Marie, patronne de l’église, attire tous les regards. L’assomption n’est absolument pas un thème biblique mais il est emprunté à la Légende Dorée qui date du Moyen-Âge.

L’article de Foi spécifique à propos de Marie ‘élevée corps et âme à la gloire céleste’ signifie que son corps n’est pas soumis à la destruction terrestre. Derrière ceci se cache la certitude que dans l’au-delà l’être humain conserve sa propre personnalité. La promesse biblique dans l’Apocalypse (2:10) ‘Reste fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie’, peut servir de point de départ au tableau exclusif du couronnement de Marie, et cela vaut pour tout un chacun qui s’efforce à faire le bien. C’est ainsi que ce thème marial donne une perspective pleine d’espoir d’un bonheur éternel auprès de Dieu. L’attention portée à Marie est un point spécifique de la Contre-réforme, en réaction contre les protestants qui diminuaient l’importance de son rôle.

La première chose qui saute aux yeux est la richesse de la palette de Rubens, à commencer par le trio des couleurs principales, dont ici le rouge profond, le jaune doré et le bleu d’outremer qui grâce au tombant de lumière s’épanouissent merveilleusement. À côté de cela, il y a le rose pastel extraordinaire de la robe de la femme agenouillée à l’avant plan ainsi que la doublure de la robe blanche de Marie dont une partie se laisse voir.  Une astuce de Rubens qui lui permet d’accorder à Marie ses trois couleurs symboliques sachant qu’à côté du blanc éclatant et du bleu ciel, le rouge couleur sang est remplacée par une variante moins prononcée. La partie du ciel est surtout caractérisée par les putti ailés roses pâles qui s’élèvent en-dessous de la robe de satin blanche de Marie contre un arrière-plan d’un ciel bleu pâle alors que les parties d’un blanc éblouissant éclaircissent l’ensemble. En plus Rubens, fait contraster avec génie le ciel de droite avec les teintes d’un noir profond, d’un gris soutenu et vertes de la terre, ce qui accentue encore davantage le mouvement ascendant de Marie.

À travers les coloris, le spectateur découvre aussi petit à petit la composition dynamique baroque qui grâce à la forme de losange du bas brise discrètement la rigidité habituelle de la séparation entre ciel et terre. Complètement à gauche, l’apôtre Jean, frappé d’étonnement, le bras tendu vers le haut, fait office de chaînon entre les deux en traçant ici une diagonale qui mène droit vers Marie qui constituant ainsi le fil conducteur de son ascension latérale.  Le losange central encadre une percée sur les personnages importants de l’arrière-plan, sert aussi d’appui pour un second mouvement ascendant purement visuel. Celui-ci débute par la femme agenouillée vêtue de rose pâle, court le long du manteau jaune de l’apôtre Pierre et celui de Paul, passant par les mains tendues d’un autre apôtre pour se joindre aux anges voltigeant, à droite dans le registre supérieur. Ensuite sur le plan de l’image, une magnifique connexion se réalise entre terre et ciel par certains apôtres, dont Pierre, incrédules fixant le tombeau vide, pendant que d’autres suivent religieusement Marie du regard ou encore que certains, remplis d’étonnement, tendent les bras aux le ciel.

Cathédrale d’Anvers – l’Assomption de Marie (PP Rubens) Marie au milieu des anges (JV)

L’ascension semble être un spectacle vécu en direct.  Par le tourbillonnement des anges, la diagonale du premier mouvement ascendant s’achève en un cercle autour de Marie et crée ainsi un effet de turbulence. Le double emploi de couleurs accentue avec subtilité la dynamique.  Les couleurs primaires des personnages sur terre s’inversent dans les anges et dans Marie.  Le rose pâle de la femme à l’avant plan et du manteau de Marie forme l’axe central.  Marie est vêtue d’une robe exceptionnellement somptueuse en satin et brocart au fil d’or, bordée de pierres précieuses.  Elle est déjà habillée pour le bal céleste où le bonheur est éternel.  De nombreux putti l’entraînent et accentuent le mouvement de son ‘ ascension’.  En signe de respect, des anges, un rameau à la main, accompagnent Marie dans son envolée vers le ciel et lui présentent une couronne de fleurs.  Selon la légende, les apôtres se trouvent à côté du tombeau vide de Marie. Trois jeunes femmes et une dame âgée découvrent avec étonnement qu’il n’y reste que le linceul.  Paul ayant pris ici la place de Thomas, qui revient des Indes, la symbolique du chiffre douze est maintenue.

Des différentes versions de l’ascension de Marie en grand format que Rubens a réalisé il n’y en a pas de plus expressive que celle-ci.  Il donne à celle-ci une allure d’apothéose mystique ce qui selon Paul Humenné est la caractéristique évidente de son style baroque.  Avec cette version, Rubens a donné à ce thème religieux autour de Marie une version type qui pendant la période baroque a été suivie chez nous et à l’étranger, dans les églises et les chapelles, ainsi que dans maintes maisons patriciennes, peinte d’une manière populaire, naïve ou prenant la forme de gravures professionnelles.  Grâce à une gravure d’Adrien Lommelin (1631) nous pouvons nous faire une idée fiable du premier concept de l’autel baroque surpassant celle qu’on peut se faire de l’autel de l’Érection de la Croix bien que celui-ci fût coloré.  Le but en introduisant la sculpture tridimensionnelle n’est pas seulement de briser la distance du spectateur face à la peinture bidimensionnelle mais que la combinaison peinture-sculpture favorise un dialogue existentiel.

Dans la niche centrale du couronnement de l’autel se trouvait un Christ en gloire attendant sa mère pour lui offrir une couronne qui à l’origine était dorée.  Au-dessus, dans l’espace sous le fronton arrondi, Dieu le Père, en buste, bénissant d’un large geste et entre les deux, une colombe représentant le Saint Esprit.  Ils sont flanqués d’anges qui agitent des palmes et présentent une couronne de laurier, ils refont les gestes des anges situés à gauche, en haut du tableau.  Les deux grands candélabres effilés sur les extrémités du couronnement s’y trouvaient pour la liturgie céleste, dont la liturgie à la table de l’autel en-dessous suppose être une réminiscence.

Cathédrale d’Anvers – l’Assomption de Marie (PP Rubens) le couronnement (UA)

En 1798, le gouvernement Révolutionnaire Français vend l’autel d’origine.  Au retour de Paris du panneau de Rubens, la Fabrique d’Église charge en 1817 Jan Blom de construire un nouveau maître-autel qui serait fidèle et au style baroque et au concept existentiel.  Le groupe de statues en bois plâtrée des Personnes Divines de Jan Frans Van Geel (1826) montre cette fois-ci Dieu le Père et le Christ présentant ensemble la couronne, la récompense céleste à Marie.

À partir du XVIIIe siècle se répand l’anecdote que Rubens, mettant la dernière main à son tableau en 1626, y aurait ajouté le portrait de sa première épouse, décédée la même année. Le personnage féminin qui se trouve au milieu, derrière la tombe de Marie, vêtue d’un rouge éclatant serait Isabella Brandt.

L’argument invoqué est que son visage diffère de celui du modello, cela vaut d’ailleurs pour la plupart des physionomies entourant la tombe de Marie qui sur grand format s’avèrent beaucoup plus réalistes.

De plus amples recherches sur le visage de femmes peints par Rubens pourraient apporter plus de lumière, et pourquoi ne pas se faire seconder par des simulations sur les mêmes ordinateurs que ceux employés pour les examens en médecine médico-légale. Mais que ce visage de femme nous mène aux portraits connus d’Isabella Brant reste un grand point d’interrogation.

Que l’anecdote même résiste mieux qu’une preuve éventuelle se confirme déjà en 1790, chez Georg Forster, un observateur des plus minutieux de son temps. Son célèbre ‘Tour du Monde’ était devenu le modèle d’un genre littéraire nouveau d’un récit de voyage scientifique.  Il lui semblait reconnaître le portrait d’Isabella Brandt dans le visage de Marie.  Que le visage d’Isabella Brant ressemble aussi bien à de la femme à l’avant plan qu’à celui de Marie illustre sans doute que Rubens représentait simplement l’idéal de beauté de son époque.

La renommée de cet ouvrage dépend du degré d’attachement qui lie la culture historique de l’Anversois avec la religion catholique.  À l’occasion de l’exposition universelle d’Anvers en 1930 qui mettait la culture et l’art flamand en exergue, ce tableau ou du moins une copie était portée dans un des riches cortèges étant l’expression d’une fusion entre la dévotion et le génie de Rubens.